Jean-Baptiste Carpeaux : Œuvres et Sculptures

Jean-Baptiste Carpeaux : Œuvres et Sculptures

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L'Impact de la Sculpture Française du XIXe Siècle

 

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Critiques de la Sculpture

Les critiques de la sculpture française du milieu du XIXe siècle ont souligné le mimétisme souvent servile des œuvres antiques et la pompe des monuments publics. Charles Baudelaire a abordé cette question de manière plus fondamentale dans son essai de 1846, "Pourquoi la sculpture est ennuyeuse", où il critiquait les limites de la sculpture tridimensionnelle par rapport à la peinture, qu'il considérait probablement comme un médium plus polyvalent et évocateur. L'évolution vers un style plus libre et naturaliste est illustrée par les œuvres du sculpteur du Second Empire, Jean-Baptiste Carpeaux. Rompant avec les méthodes traditionnelles des sujets historiques et du portrait, Carpeaux apporte à ses sculptures une liberté et une immédiateté nouvelles.

Comme de nombreux sculpteurs français du XIXe siècle, Carpeaux venait de la classe ouvrière. Fils et petit-fils de tailleurs de pierre né à Valenciennes, il a fait son apprentissage chez Debaisieux, un plâtrier. Le dessin étant essentiel à son métier, Carpeaux a été inscrit à l'Académie de Peinture, Sculpture et Architecture de Valenciennes, puis, après que sa famille a déménagé à Paris en 1838, à l'École Gratuite de Dessin (ou Petite École) jusqu'en 1843. L'ouverture de ces deux écoles pour enseigner le dessin à des jeunes comme Carpeaux faisait partie d'une politique gouvernementale visant à encourager l'application des beaux-arts à l'industrie.

Carpeaux à l'École des Beaux-Arts et à la Villa Médicis

L'École Gratuite de Dessin, fondée en 1766, visait à éduquer les travailleurs industriels en mettant l'accent sur l'utilité économique du dessin pour divers métiers spécialisés tels que la gravure, l'émaillage, l'horlogerie, la maçonnerie, et différents types de travail du bois. Carpeaux y a appris à la fois la méthode controversée du modèle estampe, qui consiste à copier des gravures d'après des dessins de maîtres, et la copie de sculptures du XVIIIe siècle. En 1831, sous la direction de Jean Hilaire Belloc, le programme de l'école a été modifié pour inclure de nouveaux cours de sculpture, influençant peut-être l'intérêt de Carpeaux pour cette discipline. La Petite École se vante des réalisations de ses élèves, notamment ceux comme Carpeaux, qui sont admis à l'École nationale supérieure des beaux-arts en 1844. Trop talentueux pour rester simple artisan ou praticien (assistant qui taille le marbre selon le concept du sculpteur), Carpeaux était destiné à devenir un artiste.

Les Débuts de Carpeaux et Ses Mentors

 Au cours de ses études, il change plusieurs fois de maître, oscillant entre l'ambition traditionnelle d'un étudiant visant le Prix de Rome et son intérêt pour des approches plus libérales. Carpeaux passe du peintre Abel de Pujol (1785-1861) au sculpteur indépendant François Rude. Pendant sa formation à l'École des Beaux-Arts, Carpeaux étudie également sous la direction du sculpteur romantique François Rude. En 1850, il quitte l'atelier de Rude pour celui de Francisque Duret, un professeur de l'école, sous la tutelle duquel il obtient cette même année une mention honorable pour son "Achille blessé au talon" (Musée des Beaux-Arts de Valenciennes) au concours du Prix de Rome. Il obtient ensuite une deuxième place pour sa sculpture "Philoctète à Lemnos". En 1854, il remporte le Grand Prix de Rome pour son groupe "Hector et son fils Astyanax" (Musée des Beaux-Arts de Valenciennes).

Les Œuvres Clés de la Villa Médicis

Le désir de terminer et d'être payé pour son bas-relief "L'empereur Napoléon III recevant Abd el-Kader au palais de Saint-Cloud" (ainsi qu'une blessure à l'œil et une maladie) retarde d'un an l'arrivée de Carpeaux à l'Académie de France à Rome. À la Villa Médicis, en janvier 1856, il commence un cursus de cinq ans, durant lequel il doit réaliser divers travaux de sculptures et de bas-reliefs de plus en plus complexes. À Rome, Carpeaux se forge une réputation de mauvais garçon institutionnel, de manœuvrier rusé et d'artiste provocateur. En tant que pensionnaire, il entre souvent en conflit avec les autorités de la Villa Médicis et ignore les règles de l'École. Pourtant, ses principaux envois - le "Pêcheur napolitain" et "Ugolino et ses fils" (tous deux commencés en 1857) - établissent sa renommée à Paris et posent les bases de son avenir artistique et commercial. Sa notoriété parmi les sculpteurs émergents est confirmée au Salon de 1863, où il expose les versions achevées de ces œuvres ainsi qu'un nouveau buste de la princesse Mathilde, la puissante cousine de l'empereur, qui lui vaut une médaille de première classe. Éloignés des distractions du monde de l'art commercial, les résidents de la Villa Médicis pouvaient affiner leurs compétences et leur goût pour l'art ancien et moderne. La première année, chaque étudiant en sculpture réalise, avec l'aide d'un praticien, une copie en marbre d'une statue antique. Carpeaux crée alors son premier chef-d'œuvre, "Pêcheur à la coquille" (Musée des Beaux-Arts de Valenciennes), qu'il expose ensuite à l'École des Beaux-Arts en 1858.

Villa Medicis

Les Commandes et Projets Monumentaux de Carpeaux

Le succès d'"Ugolino et ses fils" apporte immédiatement à Carpeaux des commandes importantes. En 1864, il intègre le cercle impérial en devenant le tuteur artistique du prince impérial, fils de Napoléon III, à l'âge de neuf ans, réalisant un buste de l'enfant et un portrait en pied des parents du prince (tous deux en marbre, conservés au musée d'Orsay, Paris). Il obtient également certaines des commandes monumentales les plus prestigieuses de l'époque : la décoration architecturale du Pavillon de Flore au Palais du Louvre (1863-1866, avec "La France impériale éclairant le monde" et "Le Triomphe de Flore") et "La Danse" (1865-1869) pour la façade de l'Opéra de Paris récemment achevé de Charles Garnier (1865). ou encore  "Les quatre parties du monde soutenant le globe" pour la fontaine de l'Observatoire dans les jardins du palais du Luxembourg (1867). Sa ville natale, Valenciennes, lui commande plusieurs projets publics entre 1860 et 1884, y compris un monument en l'honneur d'un autre de ses artistes, Antoine Watteau (1684-1721). 

Façade Opéra Garnier

En avril 1869, il épouse Amélie de Montfort, la fille de vingt-deux ans du vicomte de Montfort, général en retraite. Ensemble, ils ont deux fils.

Avec la chute du Second Empire et les désastres politiques et économiques de la guerre franco-prussienne (1870-71), Carpeaux se retrouve avec un atelier coûteux à maintenir. La sculpture monumentale demande d'énormes quantités de matériaux, de main-d'œuvre et un vaste espace de travail. De plus, il a moins de mécènes. Pour payer ses factures, Carpeaux se tourne vers la production d'éditions (petites figures inspirées de ses groupes monumentaux) pour les collectionneurs.

C'est le cas du buste en terre cuite "Bacchante aux yeux baissés", une variante d'une figure de "La Danse", et de "La Négresse", un autre buste reprenant une figure des "Quatre parties du monde". D'autres œuvres, comme la statuette en bronze "Le Génie de la danse", figure centrale de "La Danse", sont des extractions littérales des groupes monumentaux . Très apprécié comme portraitiste, Carpeaux avait obtenu des commandes impériales dont il commercialisait les résultats. "Le Prince Impérial avec son chien Néro", une belle statuette en porcelaine de Sèvres, est une version miniature du groupe en marbre de Carpeaux achevé en 1865. Carpeaux a réalisé un portrait posthume de Napoléon III en 1873 pendant l'alitement de l'empereur, mais il n'a pas été reproduit pour la vente populaire et est resté dans la collection privée d'Eugénie jusqu'à sa mort en 1920. 

Cette intense activité est interrompue par les bouleversements suivant la chute du Second Empire et par la santé déclinante de Carpeaux, atteint d'un cancer. Séparé de sa famille, Carpeaux passe les deux dernières années de sa vie à voyager, à être soigné par des mécènes et à fréquenter des cliniques. Il meurt en 1875.

L'Héritage de Carpeaux et Sa Reconnaissance Posthume

Deux mois avant sa mort en 1875, Carpeaux a été décoré de la Croix de la Légion d'honneur. Bien que son œuvre soit souvent vue comme une réaction contre le style classique conventionnel imposé par l'Académie française, il est indéniable qu'il a été fortement influencé par les doctrines de cette institution ainsi que par les maîtres anciens et modernes auxquels il a été exposé pendant son apprentissage à Rome, qu'il a durement gagné.

Dès ses débuts à l'École, Carpeaux montre une ambition entrepreneuriale marquée, enfreignant la politique académique qui interdit le commerce. Tout au long de sa carrière, il produit des œuvres en série, principalement des réductions ou des variantes de ses figurines exposées au Salon, de ses monuments publics ou de ses portraits célèbres. Ces œuvres sont réalisées dans divers matériaux, dimensions et formats, par différents moyens : des fondeurs de bronze renommés, la Manufacture de Sèvres et son propre atelier à Auteuil. Il utilise les expositions à travers l'Europe, notamment les sections industrielles très prisées (sélectionnées par un jury) des expositions internationales, ainsi que les expositions provinciales en France, et met ses œuvres aux enchères à Paris, Londres et en Europe continentale chaque année à partir de 1870. Dès le début de sa carrière, il comprend les enjeux liés à la conservation des droits de reproduction de ses modèles. En tant qu'étudiant, son refus de vendre des œuvres à l'État pour en garder le contrôle des droits était motivé par un orgueil risqué, mais cette stratégie s'est révélée très bénéfique sur le plan commercial.

Statuette Grecque


Carpeaux a présenté une alternative radicale et très visible aux normes établies pour les sculpteurs de sa génération et de la suivante. Considéré comme un baromètre révélateur de son époque, lui et son œuvre ont provoqué un vif débat public. Ses critiques l'ont accusé d'une ambition démesurée en cherchant constamment à se faire connaître. Son travail a été jugé tout aussi audacieux. Tandis que ses défenseurs et détracteurs s'accordent à dire que ses décorations architecturales dominent leurs cadres architecturaux, son utilisation extravagante des styles baroque et rococo a été soit critiquée pour plagiat, soit célébrée comme une manifestation de la grandeur moderne. L'œuvre de Carpeaux, avec son énergie expressive intense et son naturalisme d'une part, et ses surfaces richement détaillées et sa qualité décorative d'autre part, a remis en question les notions mêmes de haute sculpture. Ses nus très physiques, qu'ils soient masculins ou féminins, ont à la fois fasciné et dérouté son époque, suscitant des débats passionnés sur leur impact moral, d'autant plus qu'ils se sont bien vendus et ont été fréquemment copiés. Néanmoins, ses dernières œuvres et ses théories sur l'art, largement négligées jusqu'à récemment, révèlent une approche plus classique et discrète, parallèle à celle des œuvres ultérieures de son maître Rude. L'influence de Carpeaux est perceptible dans le travail des derniers grands sculpteurs, comme Aimé-Jules Dalou, mais elle se fait surtout sentir dans les théories et l'art d'Auguste Rodin, son élève à la Petite École et admirateur tout au long de sa carrière remarquable.


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